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ARGUMENTAIRE
Françoise DASTUR – Professeur honoraire de philosophie, Archives Husserl de Paris, ENS Ulm –
Histoire de l’idée européenne et européocentrisme
Le mot « Europe », d’origine sans doute phénicienne, est très ancien – on le trouve chez l’historien grec Hérodote et déjà deux siècles auparavant chez un contemporain du poète Hésiode (VIIe siècle av. J.-C.), mais il n’est devenu porteur d’un sens culturel et politique que beaucoup plus tard. L’idée européenne fait son apparition à partir du Haut Moyen Âge (Vème-Xème siècle), au moment où la chrétienté commence à donner à l’ensemble de l’Europe son unité du point de vue civilisationnel. A partir du XVIème siècle, de la découverte du « Nouveau monde » et des conquêtes coloniales, on assiste à la domination culturelle, politique et économique des nations européennes sur le reste de la planète. Il faut cependant aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation, reconnaître d’une part que l’Europe a tout au long de son histoire subi de nombreuses influences d’origine non européenne et d’autre part qu’elle n’est plus le centre du monde, la pensée européenne ne permettant pas d’appréhender l’expérience de la modernité politique que font les nations non occidentales.
Bibliographie
Jean Carpentier, François Lebrun, Histoire de l’Europe, Paris, Seuil, coll. « Points », 2002-2003
Jacques le Goff, L’Europe est-elle née au Moyen Âge ?, Paris, Seuil, 2003
Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe, La pensée coloniale et la différence historique, Paris, Editions Amsterdam, 2009
Christophe SOULARD – Conseiller à la Cour de cassation
La place du juge dans la construction d’une Europe du droit
Au cours des cinquante dernières années, l’Europe est apparue comme étant principalement une Europe du droit. Par-là est exprimée l’idée que l’Europe se construit grâce à l’adoption de normes communes. Ces normes sont interprétées et appliquées par les juridictions européennes que sont la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, et par les juridictions nationales. La première a fait de l’objectif d’abolition des frontières internes à l’Union et d’harmonisation des législations nationales son critère privilégié d’interprétation, ce qui l’a conduite à donner aux textes européens un sens extensif. Cette interprétation s’impose aux juridictions nationales. Aussi est-il impossible de comprendre le processus d’intégration européenne sans connaître le rôle prépondérant que le juge y a joué et continue d’y jouer.
Mais l’expression « Europe du droit » signifie également que les particuliers disposent, comme dans un « État de droit », de garanties juridictionnelles effectives pour faire respecter les droits qu’ils tirent des textes européens : droit de saisir un juge, respect du principe du contradictoire et des droits de la défense, présomption d’innocence, droit de garder le silence en cas d’accusation etc. Ces garanties ont été posées progressivement par les juridictions européennes et nationales dans un dialogue permanent auquel se mêlent les juridictions constitutionnelles. S’élabore ainsi un standard commun à l’ensemble des pays européens.
Ces deux aspects de l’Europe du droit ne sont pas indépendants l’un de l’autre. En effet l’existence d’un socle commun de principes fondamentaux est une condition à laquelle sont subordonnées la légitimité et donc l’acception, par chaque pays, des décisions de justice rendues dans les autres. Or il s’agit là d’un aspect important de la libre circulation en Europe. Au-delà de cette question de la légitimité des décisions de justice aux yeux des autres pays se pose celle de la légitimé du rôle ainsi joué par les juges au regard, notamment, de la place du politique.
Bibliographie
Jean-Denis Mouton et Christophe Soulard, La Cour de justice des Communautés européennes, Puf, Que sais-je ?, 1998
André TOSEL – Professeur émérite de philosophie de l’Université de Nice-Sofia-Antipolis
L’Europe fait-elle société en tant qu’Union Européenne?
L’idée européenne a reçu dans l’histoire de la pensée des versions contradictoires allant de l’apologie des Lumières à l’inquiétude des Contre Lumières et des Anti-Lumières. Quelle Europe? La catastrophe de la seconde guerre mondiale a fait apparaître l’équivocité de la référence européenne qui fut aussi celle de l’Allemagne nazie. L’Union Européenne a justifié a contrario son choix de communauté économique fondé sur le libre échange comme anticipation d’une fédération politique, délivrée des nationalismes, actualisant un méta-espace éthique. Quelle société réelle constitue cette Union après la soumission de la Grèce aux impératifs financiers de la « dette », après l’arrivée indésirée de réfugiés et après l’entrée contre la nébuleuse « terroriste »? Qu’est-ce que faire société?
Bibliographie
Perry Anderson, Le nouveau vieux monde, Marseille, Agone, 2009
Etienne Balibar, Nous citoyens d’Europe? Les frontières, l’Etat, le peuple, Paris, La Découverte, 2001
Cedric Durand (dir.), En finir avec l’Europe, Paris, La Fabrique, 2013
Jean-Marc Ferry (dir), L’idée d’Europe, Presses Universitaires de Paris Sorbonne, 2013
Jürgen Habermas, La constitution de l’Europe, Paris, Gallimard, 2011
Frédéric Lordon, La malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Paris, Le Liens qui libèrent, 2014
Philippe CABESTAN – Professeur de philosophie en classes préparatoires
L’Europe sans qualité. Construction européenne et identités nationales
Depuis l’adhésion de la Croatie en 2013, l’Europe — ou plutôt l’Union européenne — comprend désormais vingt-huit Etats. Qu’il s’agisse de la France, de l’Allemagne, de la Grèce, du Luxembourg ou encore du Portugal, chacun d’entre eux possèdent une identité relativement bien définie dont les fondements sont à la fois historiques, économiques, politiques et parfois linguistiques. L’Europe, en revanche, semble une association sans âme, une entité sans identité, ce que le Général de Gaulle aurait pu appeler un ‘’machin’’. Or, une Europe sans qualité est-elle viable ? Et sinon, l’Europe doit-elle être une Europe des nations ou bien devenir à son tour une nation voire une grande nation ?
Bibliographie
Chantal Delsol, Jean-François Mattei, L’Identité de l’Europe, Paris, P.U.F, 2010.
Marc Crépon, Altérités de l’Europe, Paris, Galilée, 2006.
Aliénor Ballangé, « L’hétérologie de l’Europe : crise identitaire ou défi altéritaire ? », Le Philosophoire, Printemps 2015, N°43, Paris, Vrin.