par Christian LOUBET – Professeur d’histoire de l’art et des mentalités.
21 janvier 2005 – 20h
Espace Mimont
5,rue mimont
Cannes
James Ensor (1860-1949) exprime une quête d’identité en projetant dans des masques (et très souvent des squelettes) les avatars de soi et la critique de la société. Le chef d’œuvre de la série est l’Entrée du Christ à Bruxelles (1887) où l’on aperçoit au centre l’autoportrait christique de l’artiste célébré et incompris par une foule de fantoches. Le jeu d rôles s’accomplit dans un expressionnisme d’un humour macabre (Ostende, la ville natale d’Ensor lui fournit la référence du Carnaval). Quand il projette son portrait sur fond de mur de masques (1895), Ensor exprime une « conquête de soi » mais désormais son style s’affadit.
René Magritte (1898-1967) prend au piège la réalité dans un « faux miroir » qui au lieu de refléter les apparences, les traverse pour les démystifier…Nos certitudes logiques sont ébranlées quand une forme est ainsi déchargée de son sens attendu (convenu). La rhétorique est bousculée et le sens détourné : l’image bascule, les figures dérivent, l’observateur délire. Et cela se réalise dans le code d’un graphisme minutieux, dans une facture lisse aux teintes délimitées.
Plus que peintre, Magritte se veut « penseur en images ». il poursuit d’ailleurs les enchaînements du sens à travers les associations d’idées « illustrées » (plus ou moins contrôlées). Dès lors s’éclaire une démarche de sublimation lyrique derrière les voiles successifs de la réalité multiple, des signes balisent un itinéraire vers le paradis perdu. La peinture de Magritte est toujours l’expression poétique d’une « ironie » légère : La charge émotive est désamorcée, l’obsession détournée, l’obstacle dépassé.
Dans une Cité Vénusienne où se démultiplie sans fin le même modèle féminin, Paul Delvaux (1897-1994) promène son double au cours d’une enquête fiévreuse. Sur un paysage ruiniforme et volcanique, où des crânes se mêlent à la pierre, s’avance la procession des hystériques hypnotisées, les princesses du cauchemar de prédilection. Au centre la plus imposante porte un diadème et arbore sur sa poitrine un gigantesque « nœud rose ». Le souvenir ombilical prend des tournures vampiriques.
Par le miracle de la création artistique, le désir finit par se transposer en une contemplation active. Un autre territoire s’ouvre au-delà du tableau miroir de Narcisse, loin de se perdre, s’envole pour la planète des femmes où la Mère obsédante délègue ses pouvoirs à de charmants épigones.
Les trois artistes belges annoncent ou prolongent la démarche des surréalistes parisiens en affirmant une savoureuse distinction et un subtil décalage…
Christian Loubet,