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Vertigo2005

par Jean-François MATTÉI

Cannes – 18 mars 2005

« Il y a dans l’homme une force mystérieuse dont la philosophie moderne ne veut pas tenir compte ; et cependant, sans cette force innommée, sans ce penchant primordial, une foule d’actions humaines resteront inexpliquées, inexplicables. Ces actions n’ont d’attrait que parce qu’elles sont mauvaises, dangereuses ; elles possèdent l’attirance du gouffre. »

Baudelaire,
Notes nouvelles sur Edgar Poe

L’enseignement le plus constant de la littérature, de la poésie, de la musique et, d’une façon plus générale, de l’art occidental, tient dans l’attirance respective de l’amour et de la mort, ou, en termes freudiens, aux liens d’Éros et de Thanatos. Le premier roman de l’Occident, Tristan et Yseult, commence par ces mots : «Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort?»
Dans La Genèse d’un poème, songeant peut-être à Yseult, Edgar Poe affirmera que « la mort d’une belle femme est incontestablement le plus poétique sujet au monde », et dans sa Romance, il décrira la forme d’amour qui l’attire irrésistiblement :
« Je ne pouvais aimer sans que la Mort
Mêlât son souffle à celui de la Beauté ».

Le cinéma a magnifié ce thème traditionnel de la tragédie – Roméo and Juliet – et de l’opéra – Tristan und Isolde – tant dans les drames ou les mélodrames – Pandora, Le jour se lève – que dans le film noir : Laura, Le Facteur sonne toujours deux fois. Le film le plus remarquable à cet égard est certainement Vertigo (Sueurs froides) qu’Alfred Hitchcock a tourné en 1958 d’après le roman policier de Boileau et Narcejac « D’entre les morts ». Derrière l’intrigue criminelle, le spectateur perçoit une méditation sur les liens de l’amour et de la mort à travers l’attirance que le héros éprouve pour une femme défunte ou qui n’a jamais existé, mais qui, cependant, revient d’entre les morts. En projetant quelques extraits du film, avec le célèbre générique de Saul Bass sur les spirales qui naissent au fond de l’œil de l’héroïne et qui évoquent le vertige creusé par l’amour, je suivrai l’intrigue du film et j’interpréterai cette attirance nécrophile qui conduit le héros à rechercher la mort à travers un amour impossible. Il s’adresse en effet à la fois à une femme morte, à une femme qui n’a jamais existé et à une femme qui joue le rôle d’une femme qui n’a jamais existé…

Attirance de la mort dans Vertigo – texte intégral