Le Président et les intellectuels
Le Président de la République s’est livré à un exercice inédit lundi 18 mars en recevant à l’Elysée une soixantaine d’intellectuels pour débattre avec eux. J’y ai participé et je livre donc ici quelques impressions.
Il est d’abord intéressant de s’arrêter un instant sur l’intitulé de la rencontre : il n’était pas formulé sous la forme « rencontre avec des experts » ou « avec des scientifiques » ou « avec des universitaires », mais bien « avec des intellectuels », une figure bien française dont Gaspard Koenig rappelle la genèse dans une chronique bien enlevée du journal les Echos (du 19/03). Si l’on résume son propos, l’intellectuel français n’est expert en rien mais peut parler de tout, il prétend à l’universalité. « C’est un poète des idées » dit joliment Koenig. Pourtant quand on consulte la liste des personnalités invitées au débat avec le président, on se dit que la plupart d’entre elles ne correspondent plus à cette définition. Ce sont plutôt des experts, bien ancrés dans une discipline, pourvus de solides titres universitaires, et pour certains d’entre eux récompensés par des prestigieux prix qui célèbrent leur renommée scientifique (trois prix Nobel par les personnalités invitées).
Le débat lui-même a d’ailleurs, dans l’ensemble, illustré cette spécialisation disciplinaire et ce rôle de l’expertise : beaucoup de point de vue argumentés fondés sur des travaux scientifiques.
Ce débat a-t-il été utile ? Sur le principe on ne peut évidemment que se féliciter que le Président de la République rencontre des universitaires, des scientifiques, des experts, dans un cadre républicain et avec la volonté que la connaissance soit utile à l’action publique. Cette rencontre, le fait qu’elle ait été possible, montre d’ailleurs à quel point les esprits ont évolué. Dans les années soixante, elle aurait été certainement inenvisageable. L’intellectuel d’alors, dont Sartre est la figure emblématique, se cantonnait, vis-à-vis du pouvoir politique, dans une posture de dénonciation qui rendait impossible ce type d’échange qui aurait été compris comme une compromission inacceptable. Cette posture d’ailleurs, n’a pas totalement disparu. Certains intellectuels pressentis ont refusé de se rendre au rendez-vous avec le Président et Gaspard Koenig finit sa chronique par un péremptoire
« un intellectuel digne de ce nom ne se rend pas aux convocations d’un président » ! Néanmoins, de nombreux intellectuels aujourd’hui ne pensent plus ainsi. Cela a certainement à voir avec le fait que ce ne sont plus des « poètes des idées », mais des scientifiques ou des universitaires, rétribués par l’Etat, et qui estiment que c’est leur devoir de répondre à ces sollicitations, sans renoncer pour autant en aucune manière à leur libre arbitre.
Si le principe est bon, la forme qu’a prise ce débat est plus contestable et génère des doutes sur son utilité profonde. En effet, rassembler un nombre aussi important de personnes a rendu presque impossible un véritable débat, du fait d’une double contrainte : le temps de parole très limité dévolu à chacun pour que tout le monde puisse s’exprimer, et la très grande variété des thèmes abordés, liée à la diversité disciplinaire des personnes invitées. Le risque était que l’on parle de tout sans rien approfondir, et il n’a pas été totalement écarté. Il aurait été sans doute préférable d’avoir des débats plus resserrés et plus courts sur des thématiques plus restreintes quitte à laisser de côté un certain nombre de sujets. Mais, voilà on retrouve dans la conception de ce grand débat, cette prétention à l’universalité qui fait la singularité de l’intellectuel français !
Certains soupçonnerons une opération de communication politique, mais gardons un esprit positif : le fait qu’un Président de la République prenne 8 heures de son emploi du temps très chargé pour débattre avec des intellectuels n’est pas anodin. Même si le débat est resté assez superficiel, on peut espérer que quelques idées évoquées n’étaient pas attendues et auront un impact sur les politiques publiques. Même s’il est modeste, ce résultat serait déjà un succès.