Gilbert Croué, historien d’art, conférencier.
L’hirondelle de mars.
En ce temps de l’arrivée du Printemps, le 20 mars dernier, nous allons nous intéresser à l’hirondelle. D’ailleurs, les premières viennent d’apparaître, comme des éclaireuses, dans le ciel de Cagnes sur mer, au-dessus de ma maison. C’est toujours un bon signe, signe de bonheur. D’ici peu, ce seront les martinets, signes d’été enfin là… et peut-être de liberté pour nous tous, mais on n’y est pas encore…Venons-en à une hirondelle bien particulière.
Vers 1430, le peintre toscan Fra Angelico (vers 1400-1455), a peint une de ses plus belles Annonciations. D’une qualité remarquable, cette peinture est conservée, depuis 1611 en Espagne, et de nos jours dans le grand musée connu de tous : Le Prado, aux collections passionnantes. Cette peinture sur bois est un retable, commandé pour un autel de l’église San Domenico de Fiesole, à côté de Florence. Fra Angelico y était moine dominicain et il peignait avec passion pour ses frères. Ce retable avec sa prédelle fait 194cm sur 194cm, c’est de la peinture à la tempéra sur bois de peuplier. Nous connaissons tous ce thème de l’Annonciation à Marie, sujet important et récurrent de l’iconographie chrétienne, nous allons y revenir.
Dans cette version de Fra Angelico, nous apercevons au-dessus de la Vierge Marie une hirondelle, perchée sur un tirant de fer (voir détail dans la loupe). Comment interpréter cette présence, qui peut paraître pur décor sympathique, agrément anecdotique ? Mais nous savons que dans l’iconographie chrétienne des 14ème et 15ème siècles, il y a très souvent un sens aux détails qui figurent dans la peinture. Daniel Arasse en a donné de magnifiques exemples dans son livre « Le détail » (1992, Flammarion), et avant lui de nombreux commentateurs.
L’Annonciation est un temps fondamental du Nouveau Testament, il ouvre le début du cycle de Jésus Christ. La Résurrection étant la fin du cycle, entre les deux thèmes se déroule la vie terrestre de Jésus. L’hirondelle est associée à ces deux temps fondamentaux : annonce de sa venue et résurrection de la mort.
L’annonce faite à Marie, selon la tradition et le calendrier chrétien, se situe le 25 mars, le temps de la venue du printemps. Le calendrier chrétien a été plaqué sur le calendrier agraire et naturel ancestral. Le renouveau de la nature était une date majeure et un temps de l’espérance fondatrice, après les longs mois de l’hiver et les privations. Le carême a certes été institué pour faire pénitence, mais aussi parce qu’il correspond à la période où il faut économiser les ressources stockées pour les mois d’hiver dans les greniers et dans les caves. (Nous stockons actuellement pareillement, mais pas pour faire carême et personne ne nous interdit de banqueter, confinés oui, abstinents non !)
Le renouveau et la libération de la nuit d’hiver annoncés par la promesse du printemps se sonttrouvés logiquement associés au renouveau annoncé par la venue du Messie. Donc : Annonce et fécondation au printemps, le 25 mars, naissance 9 mois plus tard, au profond de l’hiver, le 25 décembre.
Pour nous, comme pour les mentalités d’autrefois, l’hirondelle est l’oiseau du printemps. Même si, nous connaissons l’adage : « une hirondelle ne fait pas le printemps », proverbe déjà utilisé par Esope, Aristophane ou Aristote, paraît-il. L’hirondelle apparaît, plutôt réapparaît avec le printemps. Donc, une première raison de lier : hirondelle – printemps – annonciation, et de la mettre en relation avec ce premier temps du cycle terrestre de Jésus.
Une autre raison de lier l’hirondelle au cycle de Jésus : le retour de l’oiseau est l’image de la résurrection, la promesse de la résurrection. En effet, les anciens de l’antiquité gréco-latine et au moyen-âge chrétien, étaient persuadés que l’hirondelle, parce qu’elle s’enveloppe dans une boule de terre, de boue, pour faire son nid, disparaissait dans son enveloppe de terre pendant l’hiver, comme on porte les morts dans la terre. Elle disparaissait ainsi dans la nuit de l’hiver comme le font les défunts dans la nuit de la mort. Mais, prodige, au printemps, l’hirondelle fait éclater sa gangue de terre, son tombeau hivernal, pour ressurgir au soleil nouveau du printemps et s’épanouir en arabesques dans la lumière céleste. Les anciens ignoraient le phénomène extraordinaire des migrations ! Fra Angelico en son temps devait l’ignorer aussi. Les migrations des hirondelles sont fantastiques : parfois plus de 10 000 kms pour venir d’Afrique, en particulier du Niger, où elles ont passé l’hiver, pour revenir vers l’Europe au printemps, et vice-versa à l’automne. Pour des mentalités souvent primitives, il était impensable qu’un oiseau de quelques grammes puisse faire 10 000 kms ! Donc elles ne pouvaient qu’être endormies quelque part dans leur gangue de terre.
Réapparaissant, l’hirondelle était le symbole de la résurrection des corps sortant, eux aussi, de la terre grâce à la promesse de Jésus Christ.
Résumons :Printemps agraire, réapparition et résurrection des hirondelles, printemps chrétien, annonciation, promesse de renouveau et de nouvelle lumière, promesse de résurrection. L’hirondelle était le témoin et le symbole du renouveau du printemps et du renouveau de la résurrection promise.
Ce n’est pas tout. Les anciens avaient remarqué que les hirondelles prennent de la sève d’une plante, la Chélidoine, pour la macérer dans leur bec et pour passer ce jus sur les yeux de leurs petits, qui naissent les paupières fermées, aveugles donc (Est-ce vrai ou faux ? N’est-ce qu’une légende populaire ? Je n’ai pas trouvé de fondement scientifique à cette assertion). Vrai ou pas, peu importe, puisque c’était une croyance opérante et un symbole fort, comme on le voit tout de suite. On retrouve dans l’estomac des hirondelles de petites boules rouges de cette sève amalgamée dite : « pierres de Chélidoine » qui passaient pour être magiques. On les frottait sur les yeux pour retrouver la vue. C’était devenu un symbole de l’ouverture des yeux des défunts, lors du réveil du Jugement Dernier. Les anges, comme les hirondelles, caresseraient les yeux des élus. Cette légende est belle et porteuse d’images pour le rêve. On peut comprendre l’idée d’associer la figuration des anges à la figuration des oiseaux. Chélidoine (Khelidôn) est le nom grec de l’hirondelle. Il y aurait donc une liaison ancestrale entre la plante et l’hirondelle.
Dioscoride (vers 30 ap JC-vers 90 apJC), médecin, pharmacologue et botaniste d’Asie mineure, écrit même dans son livre De Materia Medica, que la Chélidoine fleurit au moment de l’arrivée des hirondelles et se fane au moment de leur départ, pour bien souligner la relation entre la plante et l’oiseau.
Si nous revenons à la peinture de Fra Angelico, on peut souligner une autre raison amusante et moqueuse de la présence de l’hirondelle dans cette composition. Fra Angelico était dominicain, à Fiesole d’abord puis au fameux couvent de San Marco de Florence, pour lequel il a peint des chefs-d’œuvre toujours visibles. Cette peinture était une commande de ses frères dominicains de Fiesole pour l’église de leur couvent. Les Dominicains étaient appelés par la population : « Les hirondelles ». Sobriquet qui leur venait du fait que la tenue dominicaine est blanche à manteau noir. En ces temps où les monastères étaient très fréquentés, voir une sortie de jeunes moines dominicains après l’étude, c’était comme voir l’envol de brochettes d’hirondelles (voir l’enluminure italienne du 13ème siècle, qui montre les Dominicains comme de petites hirondelles sur une branche).
Une parenthèse pour expliquer la partie gauche de la peinture : on voit Adam et Eve chassés du Paradis terrestre, début de la Genèse. C’est une image souvent montrée d’Eve, la femme négative, par laquelle le péché et la mort ont été apportés aux hommes, opposée à Marie, qui est la femme positive. Grâce à Marie, nouvelle Eve bénéfique, porteuse du Christ, les hommes seront sauvés. Le Christ est parfois appelé nouvel Adam. On a donc un couple négatif : Adam et Eve (rejeté vers la gauche !), opposé à un « couple positif » Marie et Jésus. Mais c’est une autre histoire et d’autres commentaires possibles à développer, à partir de cette peinture très réfléchie et très bien construite. Petite remarque encore : la figure de Dieu est en médaillon comme sculpté en haut de la colonne qui sépare (comme souvent) le monde de l’Archange Gabriel et l’espace plus terrestre de Marie. Dans cette partie, nous voyons regroupés : la figure de Dieu, l’élégance de l’hirondelle messagère terrestre du printemps, et un autre messager dans le rayon d’or, un messager céleste, un drôle d’oiseau : le Saint Esprit…
Nous voyons ainsi que la présence de l’hirondelle, qui pourrait apparaître un petit élément pittoresque, est en réalité porteuse d’une ouverture de commentaires, comme un lien hypertexte. L’iconographie chrétienne est pleine de signes, de symboles, qui sont souvent d’une infinie richesse.
Conclusion : petit oiseau – grand destin, il est à la fois symbole de l’Annonciation et de l’incarnation de Jésus et symbole de la résurrection de Jésus et de la résurrection à la fin des temps.
A bientôt, pour une nouvelle chronique du Chardonneret confiné.
Gilbert Croué, le 23/03/2020